« Certains pensent qu’il font un voyage. En fait, c’est le voyage qui vous fait ou vous défait. »
Pékin. Randonner et bivouaquer sur la grande muraille, se perdre dans les dédales de la cité interdite. Arpenter les vieux quartiers des hutongs à bicyclette… tel était le programme initial. Mais c’est le voyage qui vous fait ou vous défait, comme dirait Nicolas Bouvier, et le voyage en a décidé autrement. De Pékin, je n’aurai vu ni la grand muraille ni la cité interdite, me contentant d’arpenter ... les couloirs de la VISTA clinique, repère des expatriés en détresse !
Je suis partie il y a trois jours d’Oulan Bator, tenant difficilement sur mes pieds, douleurs articulaires et tendineuses aigues que j’ai d’abord associées à la marche prolongée. Une journée de train, sous la chaleur étouffante du désert de Gobi. Impossible d’avaler quoi que ce soit. A mon arrivée à Zamin Uud, la ville frontalière, un couple de Mongole me prend en charge et m’emmène jusqu’à l’hotel le plus proche, où je peux me reposer quelques heures avant de prendre une jeep qui doit me faire passer la frontière et me déposer à Erlian, ville chinoise de l’autre côté. 5h d’attente dans la jeep. Puis à Erlian, bus de nuit pour Pekin, 12h de voyage. Je tiens au passage à saluer la ponctualité et le confort des bus c
ouchettes chinois ;-) Dans le bus, je rencontre Ciara, jeune mongole qui vient d’ouvrir une boutique de vêtement à Oulan Bator, et qui part s’approvisionner en Chine. Nous papotons une bonne partie du trajet. Elle est aux petits soins, et une fois à Pekin, elle m’emmène avec elle squatter la chambre d’hôtel de ses amis, partis prendre un avion tôt le matin. Regent Hotel, 5 étoiles, chambre de malade ! Premier bain chaud depuis 2 mois, dormir dans un grand lit moelleux. Ciara, mon ange gardien ! Sauf qu’au réveil, je n’arrive même plus à mettre un pied devant l’autre. Vive l’assurance gold mastercard ! Direction la VISTA clinique. Diagnostic : pas clair. En attendant, les anti-inflammatoires sont quelques peu efficaces, et je me traine donc, bravant les recommandations du médecin, jusqu’à la place Tienanemen et les Hutongs à proximité, histoire de sentir un peu l’atmosphère de la ville et de faire une bonne provision de thé. Encore un petit coup de foudre. L’an prochain, c’est décidé, ce sera la Chine, le come back en Mongolie attendra ! J'aurai ainsi ma revanche sur la grande muraille, qui n'a pas daigné me laisser l'arpenter :-)
L'avion décolle dans environ 15h. C'est donc la fin du voyage. J'écris ce dernier article depuis le canapé de Tzumin, ma couchsurfeuse chinoise, tout aussi adorable que mes précédents hôtes.
Ce que je retiens de ce voyage ? Tout d'abord, d'après les échanges que j'ai pu avoir tout au long du voyage, je crois que tout n'est pas si noir dans les régimes communistes, qui sont souvent montrés comme privateurs de libertés et autoritaires. En fait, ce que j'ai compris à travers cette expédition, c'est que cette question de la liberté, de la démocratie, ne concerne que les quelques pourcents les plus éduqués, et encore, quand ils ne bénéficient pas du régime en place... l'individu lambda, lorsqu'il a un travail, qu'il peut nourrir sa famille, partir un peu en vacances de temps en temps, avoir quelques loisirs, se fout pas mal du régime politique ou des soi-disant libertés... Et nombreux sont les nostalgiques qui regrettent le temps de l'Union Soviétique. Tout le monde avait un travail. En Mongolie, c'est le communisme qui a instauré, même au plus profond des campagnes, l'apprentissage de la lecture et de l'écriture, et c'est grâce à ça que quasiment tous les mongoles savent lire et écrire. Un système de santé qui était bien plus accessible qu'aujourd'hui. Les nomades recevaient des aides du temps de l'URSS, et maintenant, la vie est bien plus dure pour eux, ils sont livrés à eux-mêmes.Certes, la plupart des gens des classes moyennes et supérieures préfèrent l'époque actuelle, qui leur est avantageuse car l'enrichissement personnel y est pus facile. Certes, il y a eu beaucoup de côtés sombres, dus à l'absence de contre pouvoirs, comme les emprisonnements arbitraires et les camps de travail forcés, ou encore aujourd'hui, la censure, pour maintenir le contrôle du peuple. Mais tous comme nos régimes ne sont pas tout blancs et manipulent aussi les masses, ces régimes ne sont pas tous noirs, et je ne saurais dire si l'un vaut mieux que l'autre. Je trouve en tout cas cette question complexe passionnante, et j'espère bien continuer à l'explorer.
Autre chose que je retiens de ce voyage : je ne suis pas d'accord avec Sylvain Tesson ("Petit traité de l'immensité du monde", qui m'a accompagné dans mes marches solitaires, et "l'axe du loup", que je suis en train de lire) et sa vision pessimiste de l'Humanité. Je sors de cette expérience renforcée dans mon Humanisme, ayant croisé sur mon chemin des personnes simples et ordinaires, mais toutes merveilleuses. Si l'on n'a pas d'attentes, on ne peut être déçu, et plutôt que de porter un regard biaisé ayant déjà son opinion sur les choses et les gens, je préfère me contenter d'observer et d'apprendre, en portant une réflexion, mais sans juger. Porter un regard positif et voir ce qu'il y a de bon dans chacun, c'est ce que je m'efforce de faire au jour le jour durant ces voyages, tout en gardant, bien entendu, la prudente rationalité qui m'a permis de gérer avec fermeté les situations délicates. Quand on a un rapport vrai, sincère et respectueux avec les gens, je crois que l'on est la plupart du temps en sécurité.
Que dire encore... je ne réalise pas très bien. J'ai l'impression d'être partie une année entière, tant cette aventure était dense et variée. J'ai repoussé encore un peu plus mes limites. Je réalise maintenant que voyager, c'est un apprentissage. Mon tout premier voyage, en France, avec des amis, nous avions loué un appartement. Puis voyage sac à dos, mais à plusieurs et de guest house en guest house, en passant par agence pour les éventuelles excursions. Puis découverte du voyage en solo, en Inde, mais aussi de guest house en guest house. Puis découverte du couchsurfing, mais à plusieurs d'abord. Puis seule. Puis voyage seule, mais sans guest house, avec ma tente et mon vélo mais en France, et logement chez l'habitant sur la route, sans passer par le couchsurfing. Puis auto-stop en solo, pas de plan préétabli, et rando en autonomie, mais à l'étranger, recherchant ce que Sylvain Tesson appelle ces "zones grises", encore vierges des marques de l'Homme. Aller de surprise en surprise, d'aventure en aventure, me moquant de ne pas voir les choses à voir, cherchant simplement à vivre les choses. J'ai l'impression d'apprendre à voyager, et à chaque fois, j'ai l'impression de profiter tellement plus du voyage ! Je pense avoir découvert ce que c'est maintenant que le véritable voyage. Pas les vacances, pas du tourisme, mais le voyage, celui qui vous emmène et vous porte, vous transporte même.
Et j'espère que le fait d'avoir partagé cette aventure donnera envie à d'autres de partir arpenter le monde avec leur bonne humeur et leur sourire, en progressant pas à pas, pour découvrir toutes les richesses que cela apporte, au voyageur, mais aussi, j'aime à le croire, aux personnes qu'il rencontre sur son chemin.
Et pour finir, j'aimerais vous livrer cette citation d'un inconnu que j'ai trouvé il y a un moment sur le net : "bienheureux les fêlés, car ils laissent passer la lumière". Alors laisser donc parler ce grain de folie qui est en vous, car ce qui est merveilleux dans ce monde, c'est que tout, absolument tout, est possible. Il suffit de le vouloir, et de mettre son énergie à la réalisation de ce que l'on veut. Et de garder en tête que ce qui est important n'est pas l'endroit ou l'on arrive, mais c'est le chemin parcouru.
